Nous avions rencontré Gilbert Gaillan à l’automne 2017 dans le cadre de nos enquêtes auprès des éleveurs au sujet de leurs savoirs et savoir-faire en matière de chiens de protection. Gilbert était un pionnier en la matière. La qualité de ses chiens ainsi que ses principes d’élevage et d’éducation étaient largement reconnus. Mais parler des chiens de protection sans parler de la prédation et du métier de berger notamment de son lien viscéral au troupeau et à ses animaux en général, était impossible pour Gilbert.
Voici un morceau choisi de cet entretien qui montre bien qui était cet extraordinaire berger.
« Moi je suis confronté au problème [du loup] tous les jours. Je suis amoureux de mes brebis, j’en ai rien à branler du business, du fonctionnement du fric. Quand je passe une nuit là haut-dedans pour faire agneler, quand je me fais chier avec mes brebis qui me rendent ce que je leur demande, que tout ce que j’ai, je le leur dois. Parce que si j’ai une maison, si j’ai des terres, j’ai du matériel, c’est tout elles qui m’ont tout gagné. Je suis parti de rien, c’est tout elles qui m’ont apporté ce que j’ai. Donc je leur dois tout à mes brebis. Quand je suis là-haut, et que tu vois la communion que tu as avec tes bêtes quand elles mettent bas et tout, et que tu élèves tout ça, et qu’il y a des affinités qui se forment, on forme un groupe, une famille, c’est con de te dire ça, tu vas te dire « il est fou lui! ». La sensibilité qu’il y a entre l’homme et l’animal, c’est plus fort que moi. Je ne peux pas accepter ça [la prédation]. Donc là derrière… bien entendu on a des aides ! Bien entendu quand les brebis elles vont se faire égorger, on te les rembourse. Même plus que ce qu’elles valent ! Je m’en fous de ça ma pauvre ! Ce n’est pas ce que je recherche. On a connu les bonnes années, où c’est qu’on était là-haut, et qu’on pouvait laisser nos brebis libres et qu’on pouvait profiter de ce que vraiment… le métier nous apporte… cette communion qu’on a besoin, que le berger a besoin ! Pas que l’éleveur, que le berger a besoin ! Parce que je ne me considère pas comme un éleveur. Je me considère comme berger. Parce que quand tu es là haut… moi, c’est pas sur mon tracteur que je vibre. Moi je vibre quand je suis là-haut, que j’ai toutes mes sonnailles, que j’ai passé toutes mes sonnailles à telle et telle brebis, et qu’elles sont là-haut dans le parcours, et que je me mets là haut et que je me dis « putain, écoute ça ! » Mais tu serais derrière un concert, tu n’aurais pas les mêmes frissons ! Tu me suis ? Que là-haut ça évolue dans la colline, là tu es en face, tu dis « putain comme c’est beau ! », et que tu te mets là et que tu regardes tes brebis, et que tu vois évoluer ton travail, que tu t’es levé le cul pendant des mois et des mois, que tu n’as pas dormi là pendant 2 mois, pour faire naître, que tu es naze, et puis arrive au bon moment, elles sont là haut dans l’abondance, les fleurs, au meilleur moment de la saison, que tu te dis « putain mais c’est pas beau ça ?! », c’est pas la récompense de nos efforts ? Et quand là, le loup arrive, qu’il te massacre tout et qu’il te fout tout en l’air, putain on n’a pas besoin de ça, merde! »